Vacances d'été

Australie : sous les visas de vacances, la politique migratoire

Par Roger Viret , le octobre 3, 2019 - 5 minutes de lecture

Tribune. En décembre 2018, l’Australie comptabilisait plus de 15 000 Français séjournant sur son territoire au titre d’un visa vacances-travail. Ils représentaient alors 11% des jeunes bénéficiant de ce programme derrière les Britanniques, les Taïwanais et les Sud-Coréens. Existant depuis 1975 et adressé aux jeunes de moins de 30 ans, ces Working-Holiday Visas ont d’abord été ouverts par l’Australie à des partenaires du Commonwealth (Canada, Grande-Bretagne, Irlande). Réformé régulièrement, le programme a été modifié le 1er juillet 2019 par le ministère de l’Intérieur australien. Ce visa d’un an est désormais renouvelable (sous certaines conditions) pour une troisième année au lieu de deux auparavant, et les ressortissants français, canadiens et irlandais peuvent postuler jusqu’à 35 ans. Les jeunes qui veulent voyager en Australie ont évidemment accueilli très positivement cette réforme. Mais l’ouverture croissante de ce programme par le gouvernement australien ressemble aussi à une politique migratoire qui ne dit pas son nom.

Dès la naissance du dispositif, sa dimension sélective est claire : les pays signataires des premiers accords bilatéraux permettant le séjour de jeunes en Australie étaient d’anciens territoires de l’empire britannique et la Grande-Bretagne elle-même. Le Japon et la Corée du Sud prennent la suite dans les années 1990, avant qu’une série de pays européens, dont la France en 2004, ainsi que Taïwan et Hongkong s’y engagent à leur tour. Ces pays riches regroupés dans une sous-classe spécifique de Working-Holiday Visa ont le privilège de signer avec l’Australie un accord sans quotas : tout ressortissant effectuant une candidature peut obtenir un visa. S’ajoute néanmoins un filtre non négligeable : le jeune doit disposer sur son compte en banque d’une somme suffisante pour subvenir à ses besoins en Australie, fixée à 5 000 dollars australiens, soit plus de 3 000 euros. Depuis l’accord avec la Thaïlande en 2005, l’Australie permet à un certain nombre d’autres pays d’envoyer leurs jeunes ressortissants, mais selon un quota strict par année : 1 500 Indonésiens, 100 Péruviens, par exemple. Certains pays européens comme l’Espagne, le Portugal et la plupart des pays d’Europe de l’Est sont aussi soumis à cette restriction. La différence de traitement entre les jeunes en fonction de leur nationalité reflète finalement bien l’inégalité d’accès à la mobilité internationale, au principe même des dispositifs de visa en général.

Dispositif migratoire ciblé sur une population «désirable»

En regroupant, comme son nom l’indique, «vacances» et «travail» sur un même visa, ce programme a la particularité d’établir un flou entre politique touristique et politique migratoire. Ces jeunes working holiday makers, selon la terminologie officielle, lorsqu’ils sont français, ou d’une autre nationalité sans quotas, ont la possibilité de renouveler d’un an leur premier visa à la condition d’avoir travaillé au moins trois mois dans un secteur d’emploi dit «spécifique», c’est-à-dire dans l’agriculture, la pêche, les mines et le bâtiment, qui ont la spécificité d’être en manque de main-d’œuvre. La réforme de juillet, en proposant une troisième année de visa à la condition d’avoir travaillé au moins six mois dans l’un de ces secteurs, s’inscrit dans la même ligne politique que les précédents ajustements : permettre aux jeunes de travailler plus.

Alors que ce dispositif est présenté sur les divers sites internet qui lui sont consacrés (working-holiday-visas.com ; pvtistes.net par exemple) sous l’angle du voyage de jeunesse et de l’expérience culturelle, il s’apparente en fait à un réel dispositif migratoire ciblé sur une population «désirable». L’accroissement du recours aux working holiday makers ne serait pas sans lien avec la frilosité de l’Australie pour installer des programmes de migrations saisonnières à la demande de certaines îles du Pacifique souffrant d’un fort taux de chômage (1). Autrement dit, alors que de nombreux Etats optent pour la «circulation migratoire» en faisant venir sur leurs territoires des travailleurs saisonniers pour une tâche précise et un temps réduit, l’Australie semble surenchérir dans la protection contre le «risque migratoire» en sélectionnant ses migrants saisonniers parmi les jeunes de pays riches, qui se trouvent aussi confrontés à des risques d’abus auquel font face les jeunes sur ce marché du travail peu qualifié australien (2).

Depuis les années 2000, la France a développé des accords avec d’autres destinations que l’Australie et les jeunes Français peuvent aujourd’hui séjourner dans 14 pays grâce à ce type de visa. Le site pvtistes.com, en référence au sigle PVT pour Programme vacances travail, recensait 10 000 membres en 2008 et 280 000 en 2018. Ce phénomène encourage à se questionner sur les flux depuis les pays riches, souvent restés dans l’angle mort des discours sur les migrations (3), où pointe aussi la dualité du caractère «désirable» ou «indésirable» de celles et ceux qui voudraient parcourir le monde aujourd’hui, en fonction de leur utilité économique mais aussi de leur origine. Ainsi, si l’on peine à nommer «migrants» les hommes et les femmes qui se déplacent depuis les pays riches, leurs déplacements n’en portent pas moins des enjeux politiques.

(1) F. Allon, Anderson K., Bushell R., 2008, «Mutant mobilities : backpacker tourism in « global » Sydney, Mobilities», vol. 3, n°1, pp. 73-94.

(2) Alexander Reilly, 2015, «Low-cost labour or cultural exchange, Reforming the Working Holiday visa programme», The Economic and Labour Relations Review, vol. 25, n°3, pp. 474-489.

(3) Fabbiano G., Peraldi M., Poli A. et L. Terrazzoni, 2019, Les migrations des Nords vers les Suds, Karthala, Paris.

Brenda Le Bigot maîtresse de conférence en géographie à l’université de Poitiers au laboratoire Migrinter


Roger Viret

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