Vacances d'été

Aubette – Strasbourg – France

Par Roger Viret , le juin 3, 2019 - 11 minutes de lecture

Long Description:
Credits : (visit link)

« Le bâtiment de l’Aubette est pendant un siècle à destination militaire : il est prévu pour abriter des logements et un corps de garde. Son nom correspond sans doute à l’un des sens anciens du mot aubette (abri). On dit aussi qu’il viendrait du mot aube, car c’était à l’aube qu’on y donnait le mot d’ordre.

L’Aubette est classé monument historique depuis 1929, ainsi qu’en 1985 et 1989.

Un élément d’un vaste projet d’embellissement
Ce bâtiment faisait partie du projet de place d’Armes élaboré par Jacques-François Blondel, architecte du roi, dans le cadre d’un plan directeur destiné à moderniser et embellir la cité.

À cet effet, Blondel prévoit de régulariser l’espace de la place en accentuant sa forme en fer-à-cheval. Les deux côtés, au nord et au sud, sont infléchis par des façades reprenant l’élévation du bâtiment militaire de l’Aubette. À l’ouest, un arc de cercle, prévu à l’origine pour une salle de spectacles, est réservé à une vaste auberge, la future Maison rouge.

La conjoncture pré-révolutionnaire et le manque de finances entraveront ce programme ambitieux, qui ne sera concrétisé qu’avec le bâtiment de l’Aubette.

Au xixe siècle, l’Aubette abrite le bureau de l’état-major et un café-concert au premier étage. Celui-ci cède sa place en 1869 au musée municipal de peinture et de sculpture.

Reconstruction et nouvelle destination
L’incendie de l’Aubette dans la nuit du 24 août 1870 (Émile Schweitzer)
Lors de la guerre franco-allemande de 1870, les troupes allemandes font le siège de la ville et la bombardent. Le 24 août 1870, l’Aubette et son musée sont détruits par un violent incendie qui ne laisse subsister que la façade.
L’architecte officiel de la Ville de Strasbourg, Jean Geoffroy Conrath, dirige la reconstruction à partir de 1873, conserve la façade tout en y apposant des ajouts sculptés et réalise un nouveau toit en ardoise à comble brisé tout à fait étranger au projet de Blondel. La façade est alors ornée de médaillons représentant les portraits de musiciens célèbres (Mozart, Haendel, Gluck, Mendelssohn…) La réhabilitation du bâtiment est achevée en 1877.

Le rez-de-chaussée est désormais occupé par des boutiques, le premier étage par le conservatoire de musique et une grande salle de concert.

Un monument de l’avant-garde des années 1920
En 1922, les mulhousiens Paul et André Horn, respectivement architecte et pharmacien sollicités pour des travaux d’aménagement et de réaménagement urbain, deviennent les concessionnaires de l’aile droite du bâtiment. Ils projettent d’y installer un vaste complexe de loisirs comprenant une dizaine de salles dont un bar américain, un caveau-dancing, un restaurant, une salle de billard, un ciné-bal, une salle des fêtes et un foyer-bar.

De 1922 à 1926, Paul Horn réalise les premiers plans intérieurs avant de confier à Jean Arp et son épouse Sophie Taeuber-Arp le projet de moderniser l’aile droite du bâtiment. L’entreprise débute véritablement avec le concours de leur ami Theo van Doesburg, critique d’art, peintre, architecte et fondateur de la revue De Stjil (1917). Les travaux d’aménagement se déroulent de 1926 à 1928.

Une œuvre d’art totale
Van Doesburg voit dans l’aménagement de l’Aubette l’occasion parfaite d’appliquer ses principes esthétiques dérivés du néo-plasticisme, alors en vogue en Europe, dans la conception de l’espace et de la décoration. Les trois artistes s’accordent sur l’adoption d’un vocabulaire élémentaire abstrait, seul capable d’engendrer un nouvel art de vivre, individuel et collectif. La recherche d’un art nouveau non figuratif, à même selon Arp de « guérir l’homme de la folie furieuse de ces temps », fait du projet une aventure esthétique mais la rattache également à une utopie sociale et politique.

L’espace de rencontre et de loisirs est appréhendé comme une œuvre d’art totale, fondée sur le dialogue entre les arts, et prenant en compte tous les éléments, depuis « l’enseigne lumineuse jusqu’aux poignées de porte » (van Doesburg). L’aménagement des salles privilégie l’harmonie d’ensemble et la fluidité du parcours.

« Un complexe de loisirs d’un genre nouveau »
Le complexe de loisirs comprenait à l’origine quatre niveaux (sous-sol, rez-de-chausée, entresol, premier étage) dont les trois artistes se répartissent l’aménagement. Au premier étage, le foyer-bal est conçu par Sophie Taeuber-Arp, tandis que le ciné-bal et la salle des fêtes reçoivent des décors géométriques réalisés par van Doesburg. Au sous-sol se trouvaient le bar américain et le caveau-dancing décorés par Arp de formes souples d’inspiration biomorphique qui tranchent avec l’esprit géométrique des autres compositions. Au rez-de-chaussée, l’aménagement du café-brasserie et du restaurant est confié Théo van Doesburg, celui du bar et du « Five O’Clock » (salon de thé-pâtisserie) à Sophie Taeuber-Arp. Cette dernière conçoit également la salle de billard à l’entresol.

L’Aubette a constitué l’un des programmes les plus ambitieux réalisés par l’avant-garde des années 1920, au point que les commentateurs les plus enthousiastes qualifièrent le bâtiment de « chapelle Sixtine de l’art moderne ».

Un mobilier épuré et fonctionnel
L’ameublement de l’Aubette n’est connu que par des esquisses et quelques pièces de mobilier conservées. Les meubles ont été fabriqués en série en respectant les théories du mouvement De Stijl. Leur aspect épuré et fonctionnel découle d’une conception qui valorise la machine et la technique aux dépens de l’expression personnelle. Les tables sont composées de piètements en tubes d’acier et d’un plateau constitué de petites planches de bois recouvertes d’une mince couche de contreplaqué puis de linoléum. Le mobilier joue de contrastes multiples (courbe et orthogonalité, plein et vide, clair et foncé) qui répondent à la recherche « d’unité plastique » prônée par Van Doesburg.

Une redécouverte tardive
En 1938, les frères Horn cessent d’être gérants et leur successeur décide de masquer les décorations défraîchies et dont l’aspect avant-gardiste n’avait pas suscité l’adhésion populaire des strasbourgeois. Elles sont redécouvertes dans les années 1970 et classées monuments historiques en 1985 (ciné-dancing et escalier d’accès au premier étage) et 1989 (foyer-bar et salle des fêtes).

La restauration de la salle de ciné-bal s’effectue de 1985 à 1994. De 2004 à 2006, une seconde campagne de restauration permet de remettre à neuf l’escalier d’accès au premier étage, la salle des fêtes et le foyer-bar.

L’aile gauche du bâtiment, indépendante du complexe de loisirs, a été transformée en un espace commercial, qui a ouvert ses portes en septembre 2008. »

« For a century, the Aubette building was used for military purposes: it was designed to house housing and a guard house. Its name probably corresponds to one of the ancient meanings of the word aubette (shelter). It is also said that it would come from the word dawn, because it was at dawn that the watchword was given.

L’Aubette has been classified as a historical monument since 1929, as well as in 1985 and 1989.

An element of a vast beautification project
This building was part of the Place d’Armes project developed by Jacques-François Blondel, the king’s architect, as part of a master plan to modernize and beautify the city.

To this end, Blondel plans to regularize the space of the square by accentuating its horseshoe shape. The two sides, to the north and south, are influenced by facades that reflect the elevation of the Aubette military building. To the west, an arc of a circle, originally intended for a performance hall, is reserved for a vast inn, the future Red House.

The pre-revolutionary situation and the lack of finances will hamper this ambitious programme, which will only be implemented with the Aubette building.

In the 19th century, the Aubette housed the staff office and a café-concert on the first floor. This one gave way in 1869 to the Municipal Museum of Painting and Sculpture.

Reconstruction and new destination
The Aubette fire on the night of 24 August 1870 (Émile Schweitzer)
During the Franco-German War of 1870, German troops laid siege to the city and bombed it. On August 24, 1870, the Aubette and its museum were destroyed by a violent fire that left only the façade.
The official architect of the City of Strasbourg, Jean Geoffroy Conrath, led the reconstruction from 1873 onwards, conserving the facade while adding sculpted additions and creating a new slate roof with a broken roof that is completely foreign to Blondel’s project. The façade was then decorated with medallions representing portraits of famous musicians (Mozart, Handel, Gluck, Mendelssohn…) The rehabilitation of the building was completed in 1877.

The ground floor is now occupied by shops, the first floor by the music conservatory and a large concert hall.

A monument of the avant-garde of the 1920s
In 1922, Paul and André Horn, respectively architect and pharmacist solicited for urban development and redevelopment work, became the concessionaires in the right wing of the building. They plan to install a vast leisure complex including a dozen rooms including an American bar, a dance cellar, a restaurant, a billiard room, a cinema-ball, a festival hall and a foyer-bar.

From 1922 to 1926, Paul Horn made the first interior plans before entrusting Jean Arp and his wife Sophie Taeuber-Arp with the project to modernize the right wing of the building. The company really began with the help of their friend Theo van Doesburg, art critic, painter, architect and founder of the magazine De Stjil (1917). The development work took place from 1926 to 1928.

A total work of art
Van Doesburg saw the Aubette’s design as the perfect opportunity to apply its aesthetic principles derived from neoplasticism, then in vogue in Europe, to the design of space and decoration. The three artists agree on the adoption of an abstract elementary vocabulary, the only one capable of generating a new art of living, individual and collective. The search for a non-figurative new art, capable, according to Arp, of « curing man from the furious madness of these times », makes the project an aesthetic adventure but also links it to a social and political utopia.

The meeting and leisure space is seen as a total work of art, based on dialogue between the arts, and taking into account all elements, from « the illuminated sign to the door handles » (van Doesburg). The layout of the rooms favours overall harmony and the fluidity of the route.

« A new kind of leisure complex »
The recreation complex originally consisted of four levels (basement, ground floor, mezzanine, first floor), with the three artists sharing the layout. On the first floor, the foyer-bal is designed by Sophie Taeuber-Arp, while the ciné-bal and the village hall receive geometric decorations designed by van Doesburg. In the basement were the American bar and the dance cellar decorated by Arp with flexible forms of biomorphic inspiration that contrast with the geometric spirit of the other compositions. On the ground floor, Sophie Taeuber-Arp is in charge of the café-brasserie and restaurant, while Sophie Taeuber-Arp is in charge of the bar and the « Five O’Clock » (tea-pastry room). The latter also designed the billiard room on the mezzanine floor.

L’Aubette was one of the most ambitious programmes carried out by the avant-garde of the 1920s, to the point that the most enthusiastic commentators called the building the « Sistine Chapel of Modern Art ».

Sleek and functional furniture
The Aubette’s furnishings are only known by sketches and a few pieces of preserved furniture. The furniture was manufactured in series according to the theories of the De Stijl movement. Their refined and functional appearance stems from a design that values machine and technology at the expense of personal expression. The tables are composed of steel tubular legs and a top made of small wooden boards covered with a thin layer of plywood and then linoleum. The furniture plays with multiple contrasts (curved and orthogonal, full and empty, light and dark) that respond to Van Doesburg’s search for « plastic unity ».

A late rediscovery
In 1938, the Horn brothers ceased to be managers and their successor decided to hide the worn-out decorations, the avant-garde aspect of which had not been popular with the people of Strasbourg. They were rediscovered in the 1970s and classified as historic monuments in 1985 (cinema-dancing and access stairs on the first floor) and 1989 (foyer-bar and festival hall).

The restoration of the cinema-ballroom was carried out from 1985 to 1994. From 2004 to 2006, a second restoration campaign was carried out to refurbish the access stairs to the first floor, the village hall and the foyer-bar.

The left wing of the building, independent of the leisure complex, was transformed into a commercial space, which opened in September 2008. »


Roger Viret

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